Causes d'origine politique
 
Le Conseil souverain
Charles-Édouard Huot (1910-1913)
Assemblée nationale de Québec

Les causes des Rébellions patriotes de 1837-1838 sont multiples et profondes.  Au niveau politique, plusieurs griefs sont depuis longtemps soumis au Gouverneur de la colonie sans que les Patriotes obtiennent pleinement satisfaction.  Observons donc plus en détails ces griefs et revendications politiques qui ont contribué aux déclenchement du conflit armé.
 

Fonctionnement du pouvoir politique sous l'Acte constitutionnel de 1791
 
 

Gouvernement impérial (Londres)

nomme
le

Gouverneur général du Canada et du Bas-Canada

nomme
les membres
du

Conseil exécutif                                                        Conseil législatif (à vie)
 

Assemblée législative (50 députés)
vote le budget
(subsides et la liste civile)
élue aux 4 ans
par le
 

Peuple
citoyens
ayant 21 ans et possédant certains biens
(cens électoral)

L'Acte constitutionnel de 1791 offre aux Canadiens leurs premières élections.  Par contre, on est loin du parlementarisme britannique que Louis-Joseph Papineau admire tant.  Le Bas-Canada de 1791 est encore une colonie soumise à la métropole et non un État souverain.  Le régime de 1791 sera donc une sources d'insatisfaction constante pour la majorité canadienne et les réformistes anglophones membres du Parti patriote.
 

Avec l'Acte constitutionnel de 1791, le Gouvernement impérial est représenté au Canada par le Gouverneur général du Canada.  Ce dernier possède presque tous les pouvoirs.  C'est lui qui nomme les membres du Conseil exécutif (équivalent du Conseil des ministres) et du Conseil législatif (équivalent du Sénat).  Il a aussi le pouvoir de dissoudre la Chambre d'Assemblée à tout moments.  Les Gouverneurs sont toujours des envoyés de l'Angleterre et on peut remarquer une alternance presque constante entre un Gouverneur conciliant et un Gouverneur instransigeant.

La plupart du temps, les personnes nommées dans les Conseils exécutif et législatif sont presque toujours issus de la «Clique du château» (nommée ainsi en raison du fait que les amis du Gouverneur général se retrouvent souvent au Château Saint-Louis à Québec où réside le Gouverneur), c'est-à-dire les membres de la grande bourgeoisie marchande anglaise.  Le Parti patriote réclame depuis longtemps l'électivité des conseils, c'est-à-dire le gouvernement responsable.  De cette manière, le pouvoir exécutif serait entre les mains du parti ayant obtenu le plus de députés.

Ce système laisse peu de pouvoir à la Chambre d'Assemblée.  Son seul véritable pouvoir est de voter les budgets, c'est-à-dire les subsides et la liste civile.  Les subsides sont en quelque sorte les taxes que le gouvernement collecte, tandis que la liste civile est le salaire des dirigeants et des fonctionnaires.

Les revendications des Patriotes sont donc au niveau démocratique, national et libéral.  On veut que le pouvoir exécutif soit détenu par des élus (démocratie), que les gouvernants et gouvernés partagent la même identité ethnique et linguistique, c'est-à-dire le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (principe de nationalité ou nationalisme) et on exige que tous soient libres (libertés individuelles) et aient les mêmes droits sans privilèges indus [clergé, noblesse] (libéralisme).  Ces trois principes sont partie prenante des revendications politiques du XIXe siècle occidental, en effet en Europe et en Amérique latine on assiste à plusieurs crises révloutionnaires qui réclament sensiblement les mêmes droits que les Patriotes.  L'épisode révolutionnaire de 1837-1838 n'est pas un accident historique canadien, ce n'est pas non plus un mouvement isolé et unique.  D'ailleurs Papineau puise ses modèles sur les États-Unis, l'Irlande et le parlementarisme britannique.
 

Les 92 Résolutions

En janvier 1834, le Parti patriote va déposer en chambre les 92 Résolutions, qui résument (si on peut parler de résumé... ) les revendications des Patriotes et avant eux du Parti canadien.  Ces résolutions sont en majeure partie rédigées par Papineau.  Le but de ces résolutions est de sensibiliser le Parlement britannique aux griefs des Canadiens tout en les intimant fortement à y répondre positivement.  En bref, les 92 Résolutions réclament une démocratisation du système politique bas-canadien, le respect des droits des Canadiens, en fin de compte, la souveraineté politique du Bas-Canada dans l'Empire britannique.

Résolutions 1-8: Rappel de la loyauté des Canadiens face à la Couronne britannique

Résolutions 9-40: Dénonciation du Conseil législatif, on demande qu'il devienne électif

Résolutions 41-47: Demande des institutions plus conformes à l'état social des Canadiens français

Résolutions 48-50: Éloge des institutions américaines et possibilité de suivre la même voie que le voisin du Sud

Résolutions 51-55: Défense des droits et de la langue

Résolutions 56-62: Dénonciation de la loi de tenure des terres

Résolution 63: Justification des expulsions de Christie et Mondelet

Résolutions 64-74: Demande du contrôle des fonds publics par la Chambre d'Assemblée

Résolution 75: Dénonciation de la faible représentation des Canadiens dans la fonction publique

Résolutions 76-78: Dénonciation de l'administration de la justice

Résolutions 79-83: Demande que l'Assemblée obtienne les mêmes droits que le Parlement britannique

Résolution 84: Dénonciation des institutions coloniales (Conseil exécutif, administration et justice )

Résolution 85: Accusation du gouverneur Aylmer

Résolution 86: Sollicitation de l'appui des indépendants des 2 conseils

Résolutions 87-88: Reconnaissance au leader irlandais Daniel O'Connell et à Joseph Hume

Résolution 89: Formation de comités de correspondance à Québec et Montréal

Résolution 90: Demande à Viger de demeurer à Londres

Résolution 91:   Rappel de la dette envers Viger

Résolution 92: Suppression du Journal de la Chambre le message du Gouverneur lors de la session inaugurale
 
 

Les Résolutions Russell

Le Parlement britannique va attendre 3 ans avant de donner réponses aux 92 Résolutions.  Les Résolutions Russell sont donc déposées au Parlement de Londres le 6 mars 1837 par le ministre de l'Intérieur Lord John Russell.  Ces résolutions sont inspirées du rapport du Gouverneur Gosford.  Russell souligne clairement que la colonie ne peut avoir les mêmes droits que la métropole, le Gouverneur est le représentant de la Reine et non de l'Assemblée.

On refuse donc sur toute la ligne les revendications patriotes.  Les 10 Résolutions Russell autorisent le gouvernement anglais à amender l'Acte constitutionnel de 1791 , et ils ajoutent l'insulte à l'injure en autorisant l'exécutif à piger dans les revenus de l'Assemblée sans son autorisation.  Les députés patriotes perdent alors leur seul véritable pouvoir.

Il va sans dire que le dépôt des Résolutions va indigner et radicaliser le mouvement patriote.  À partir de ce moment le Bas-Canada est plongé dans un état de crise révolutionnaire.  La suite des événements va constituer une escalade jusqu'à l'affrontement armé.
Devant l'agitation politique, le Gouverneur Gosford va dissoudre la Chambre d'Assemblée.  Le 15 juin 1837, on va interdire la tenue d'assemblées publiques, le 5 novembre l'Acte d'émeute est proclamé à Montréal, le 16 novembre on émet 26 mandats d'arrêt contre les chefs patriotes, le 5 décembre la loi martiale est proclamée.  L'affrontement se transporte donc du niveau politique au niveau armé, malheureusement les Patriotes sont en position de faiblesse à ces deux niveaux.  Les revendications patriotes ne triompheront donc pas.  La Rébellion ne se transformera pas en révolution.
 
 

Sources:

Les Patriotes de 1837-1838
www.er.uqam.ca/nobel/k14664/patriote.htm

LAPORTE, Gilles et Luc LEFEBVRE, Fondements historiques du Québec , Chenelière/McGraw-Hill, 2000, 342 p.